Les deux cœurs de Louis XVII – Seconde partie

LES DEUX CŒURS


DE


LOUIS XVII
Étude Historique

Laure de La Chapelle
Présidente
du Cercle d’Études Historiques
sur la Question Louis XVII

Reproduction interdite
sans l’autorisation expresse de l’auteur

2nde PARTIE

Revenons, si vous le voulez bien, en juillet 1830, à l’instant crucial où les deux cœurs « dits de Louis XVII » se sont croisés   à l’archevêché de Paris, le cœur prélevé sur l’Enfant du Temple par le chirurgien Philippe Jean Pelletan retrouvant celui du premier Dauphin Charles Joseph, mort en 1789.

Pourquoi ce retour en arrière, me direz-vous ? De nouveaux témoignages, méconnus, oubliés ou remis en situation, d’étranges avatars à signaler, bref le résultat d’importantes recherches devait être mis au clair et compléter et affiner le cursus historique des deux reliques.

Nous savions que le fils aîné du docteur Pelletan, Pierre, avait trouvé le soir de l’insurrection populaire, une boîte de plomb contenant un cœur dans le bureau de l’archevêque, Mgr de Quelen.

Mais qui ne se souvient des révélations de M. Delorme, ( Louis XVII : la Vérité . op.cit.) lequel, à la suite d’un article de la Revue Rétrospective de 1895, nous apprenait que Gabriel Pelletan, frère de Pierre, mais le seul à qui il reconnaissait une légitimité historique quoiqu’il fût né hors mariage, avait lui, retrouvé un cœur sur un tas de sable  quelques jours après le départ des émeutiers .Comble d’un heureux hasard, sur ce tas amassé par le balai du concierge, on retrouvait tous les morceaux du réceptacle en cristal. Bien mieux, son étui en bois pourvu des cinq morceaux du couvercle ! Rocambolesque, avait jugé le professeur Tulard.

Se pourrait-il que la véritable histoire du cœur trouvé par Gabriel soit fort différente ?
C’est ce que nous révèle un passage des mémoires autographes du vicomte d’Orcet, communiqué par son auteur le 22 mars 1884 et rapporté en 1890 par Edouard Le Normant (dit des Varannes) :

Un certain Georges Mac Donnall, (surnommé Red George) colonel d’un des six régiments d’Ecosse – en fait Georges Mac Donnell, du clan Mac Donald – eut un entretien en 1832 à Holyrood avec la Duchesse d’Angoulême, à qui il posa un certain nombre de questions, remarquablement directes, et même brutales. Le colonel, intéressé par la question Louis XVII, et en rude Ecossais qu’il était, entendait avoir des réponses précises, qu’il n’eut pas, comme bien l’on pense.
Laissons-lui la parole :

–   Je prie Votre Altesse Royale de me permettre de lui rappeler un fait qui lui est personnel. Un des médecins qui ont fait l’autopsie de l’enfant mort au Temple, M. Pelletan, a pu, sans être remarqué de ses collègues, distraire le cœur et l’emporter dans un linge. M. Pelletan, qui n’avait jamais vu le Dauphin, s’est cru en possession d’une bien précieuse relique et a conservé ce cœur dans une urne en cristal, sur laquelle il avait fait graver une inscription commémorative. A l’époque de la Restauration, et après les grandes cérémonies de Saint Denis, le docteur est venu offrir à V.A.R. ce triste, mais bien cher souvenir, et il a été bien surpris de voir son offrande refusée, vous, Madame, déclarant qu’il n’était pas prouvé , à vos yeux, que ce fût réellement le cœur de Monseigneur le Dauphin.
–   C’est vrai, fut la réponse.

Provoqué à dire la vérité, j’étais résolu à aller jusqu’au bout, je continuai :

« M. Pelletan, ne jugeant pas convenable de conserver dans son cabinet un objet que sa conviction lui faisait regarder comme une relique royale, alla l’offrir à Monseigneur l’archevêque de Paris, qui l’accepta et plaça l’urne dans la chapelle de l’archevêché. Dans le sac de l’archevêché, cette chapelle a été démolie. M. Pelletan était mort, mais il avait laissé après lui un neveu, médecin aussi  (nous verrons qu’il s’agit de Gabriel Pelletan) qui, après que les démolisseurs eurent quitté les lieux, s’y rendit, et grâce à son uniforme de garde national, put les visiter à son aise. Il savait la place que le cœur occupait dans la chapelle et il put le retrouver dans les décombres au milieu des morceaux du vase, le recueillit avec tous les débris de cristal qui l’entouraient et, chez lui, en rapprocha soigneusement toutes les parties.
Il reconnut qu’il avait bien trouvé l’objet précieux qu’il était allé chercher, se procura un nouveau vase de cristal, sur lequel il fit placer l’inscription du premier et le cœur y fut enfermé.
Il a cru, Madame, accomplir un devoir en venant ici vous présenter dans votre exil ce souvenir qui avait tant de prix à ses yeux et que V.A.R. n’a pas cru devoir accepter. »
« C’est vrai ! » répondit une dernière fois cette malheureuse princesse, en poussant un soupir qui mit fin à l’entretien.

Ici finit le récit de Georges Mac Donnell, que j’ai entendu de sa bouche durant un long entretien chez lui à Edimbourg. Le colonel avait appris les détails relatifs à la relique du docteur Pelletan de la bouche de son neveu (sic) lorsqu’il était venu à Edimbourg offrir ce cœur à Madame la Dauphine.

Les trois révélations du récit de George Mac Donnell :

Gabriel Pelletan, fils illégitime de Philippe Jean Pelletan, s’était présenté à la cour d’Holyrood comme le neveu du médecin pour pouvoir y être introduit. A l’époque, la présence et le témoignage d’un bâtard n’auraient pu être acceptés par la Dauphine, intraitable sur les convenances.
C’est dans la chapelle de l’archevêché, et non sur un tas de sable qu’il avait retrouvé le cœur prélevé par son père.

Enfin, il était venu lui-même en Ecosse, avant 1832, pour essayer, sans succès, de faire accepter ce cœur par la princesse.

Le refus de la Duchesse d’Angoulême fut sans doute à l’origine du long silence de Gabriel Pelletan jusqu’en 1853, date à laquelle son notaire, Maître Barre, prit l’affaire en main et fut sans doute à l’origine de la mirifique histoire du tas de sable, histoire dont on aimerait avoir la véritable explication.
Un mot sur notre témoin, cet intrépide Ecossais, qui tenta, sans y parvenir, de connaître les raisons du refus de la Dauphine.

George Richard John Mac Donnell (Mac Donald) (1780-1870) est connu sous le surnom de Red George Mac Donnell. Lieutenant en 1798, capitaine en 1805, major du Glengarry Light Infantry  Fencibles en 1812, lieutenant colonel en 1813, il se battit dans l’armée anglaise et mit un terme à l’occupation d’Oldenburg par les Américains. Sous les ordres de Charles d’Irumberry de Salaberry , il battit les forces américaines commandées par Wade Hampton à la bataille de Châteauguay le 26 octobre 1813, contribuant ainsi à maintenir la présence de l’Angleterre au Canada.

Mac Donnell revint en Angleterre en 1816 et y épousa l’honorable Laura Arundel en 1820. Créé compagnon de l’Ordre du Bain en 1817, et titulaire d’une médaille, Mac Donnell fut mécontent du peu de reconnaissance de ses services, lui qui jugeait que « l’Empire transatlantique de l’Angleterre avait été sauvé grâce à ses efforts personnels », ce qui, après tout, n’était pas faux. (Dictionnaire biographique du Canada)

Peu diplomate, on le voit, l’interlocuteur de la Duchesse d’Angoulême mourut en 1870 à New Wardour Castle, propriété des Arundel.
L’historien Nettement certifie sa présence à Holyrood en 1832, au moment où la famille royale quitta l’Ecosse.

Voici l’extrait du Caledonian Mercury relatif au départ des Bourbons (septembre 1832)

« Aussitôt que l’époque de départ des augustes exilés eut été définitivement fixée, le Lord Prévôt et les magistrats se rendirent à Holyrood, pour exprimer, au nom de la corporation de la ville d’Edimbourg, le regret qu’elle éprouvait de l’annonce d’un pareil événement, ainsi que le profond respect dont elle était pénétrée pour Charles X ainsi que pour tous les membres de sa famille. Des adresses, des résolutions, et d’autres témoignages de respect furent présentés en grand nombre dans la journée de samedi ; mais comme ce n’étaient là que des démonstrations en quelque sorte individuelles, diverses personnes jugèrent qu’une expression plus générale des sentiments publics serait non seulement agréable à la famille royale, mais encore très convenable de la part des habitants d’Edimbourg.

Une adresse au nom de tous les habitants fut donc rédigée lundi, et un grand nombre de personnes des plus respectables se présentèrent immédiatement pour la signer.

Mais il fut décidé en définitive que cette adresse ne serait signée que par le Lord Prévôt au nom des habitants ; et celui-ci ayant pris les ordres du château, il fut résolu qu’elle serait présentée mardi à huit heures du matin.

En conséquence, à huit heures moins un quart, un cortège de dix voitures partit de devant l’Université sur le Carlton Hill et se rendit à Holyrood. La députation fut sur le champ admise dans le salon de réception et présentée à Charles X par le duc de Blacas. Cette députation se composait des personnes suivantes :

  • Le très honorable Lord Prévôt
  • Le colonel Mac Donnell
  • Le colonel George Mac Donnell
  • John Robinson, écuyer, secrétaire de la société royale
  • John Menzies, écuyer
  • William Forbes, James Grieve, Charles Gordon, John Mac Wirther, James Brown, docteur ès-lois etc…

(Alfred Nettement. Histoire des Bourbons de la branche aînée pendant quinze ans d’exil. Publié en 1845)

On voit que le colonel George Mac Donnell et son parent du même nom occupaient les places d’honneur aux côtés du Lord Prévôt dans la députation d’adieu aux Bourbons.

Epoux de l’honorable Lady Arundel qui avait pour les princes une affection d’enfance. George Mac Donnell avait eu le privilège d’avoir des rapports fréquents avec la famille royale (d’Orcet, op.cit.) Il avait donc pu obtenir de la Duchesse d’Angoulême ce court entretien sur un sujet sensible, qui, malgré les réticences de son interlocutrice, nous révèle que le cœur qu’elle refusa n’avait pas été retrouvé sur un improbable tas de sable.

Echec de Gabriel Pelletan. Sa victoire posthume :

Son offre repoussée par la famille royale, Gabriel Pelletan rentra dans sa coquille, confia le cœur à sa mère et ne s’occupa plus de l’encombrante relique…

Jusqu’à l’arrivée de Maître Barre, un ardent légitimiste qui, lui, ne voulut pas renoncer à offrir ce cœur au dernier des Bourbons de la branche aînée, « Henry V » pour ses partisans.

Oui, mais… il se heurta à l’opposition de Barrande, l’homme de confiance en France du comte de Chambord, qui fit traîner l’affaire de cent façons : exigeant des preuves d’identification du viscère, s’étonnant de la trouvaille sur un tas de sable,  refusant ainsi, sans vouloir l’avouer, le  cœur de Gabriel.

Ce n’est qu’après la mort du comte de Chambord en 1883, que le notaire parvint, aidé d’une troupe de « Blancs d’Espagne », à faire accepter ce cœur par Don Carlos, duc de Madrid, héritier testamentaire de la comtesse de Chambord, et légataire du domaine de Froshdorf. C’était en 1895, et cette date est importante à retenir.(cf. Mémoire sur les deux cœurs : 1ère partie)

Pourquoi, de son vivant, le comte de Chambord avait-il toujours refusé le cœur de Gabriel Pelletan ? Pourquoi était-il entré dans une violente colère en apprenant les tentatives de Maître Barre ? Pourquoi avait-il chargé Maxence de Damas de faire une enquête ?

Arrivée du cœur de Pierre Pelletan à Frohsdorf  :

La réponse est simple : Pierre Pelletan, frère légitime de Gabriel,  qui avait trouvé un autre cœur en 1830 dans le bureau de l’archevêque de Paris (dans son enveloppe en plomb), avait entrepris des démarches pour le faire accepter aux exilés royaux. Sa mort précoce en 1845 arrêta l’entreprise et sa veuve garda le cœur jusqu’en avril 1871, date où elle mourut pendant l’insurrection de la Commune.

Une lettre du comte de Chambord, adressée de Genève à son secrétaire Moricet le 21 janvier 1871 (archives Bourbon à Lucques, Toscane) nous apprend que le prince attendait l’arrivée du reliquaire contenant le cœur :

« dire à Barrande que le reliquaire de «  M.Martin » ( formule prudente) n’est pas arrivé »,

tout en prévoyant un secours pour la veuve Pelletan ( très malade et qui survivait à Paris dans le plus grand dénuement ), et en rejetant avec vigueur l’intervention de Bourdon, médecin de la veuve, qui voulait se mêler de l’affaire :

« Qu’on se débarrasse le plus tôt possible de ces pestes de Bourdon ; je regrette qu’on ne l’ait pas fait auparavant. Si la femme vient à Frohsdorf, qu’on la mette à la porte et qu’on ne la laisse pas faire du mauvais esprit avec les gens. »

Or, nous savons par une lettre de 1885 du père Bole au père de Boylesve que « Monseigneur a reçu ce cœur » (Mémoire sur les deux cœurs op.cit.)

Ce fameux cœur, celui de Pierre Pelletan, avait donc fini par arriver à Frohsdorf ; il fut  accepté par le comte de Chambord. On comprend sa fureur qu’on lui en propose un second, celui de Gabriel  Pelletan!
Mais de qui avait-il donc reçu le cœur  provenant de son frère aîné, Pierre ?

Nous sommes en mesure à présent de révéler l’origine de la donation de la relique.
Prenons connaissance dans ce but d’un livre édité en 1920, intitulé :

« Comment moururent les rois de France », dont l’auteur est un certain Gustave Jules Witkowski, bien connu à l’époque pour ses ouvrages d’histoire médicale
(Bibliothèque de l’Académie Nationale de Médecine. Cote 44.493)

A la page 224, Witkowski cite un de ses confrères, le docteur Henry Labonne.

« Regardons et passons… au cœur du Dauphin. Le docteur Henry Labonne, au sujet de cet organe voyageur (c’est le moins qu’on puisse dire !) adresse au directeur du Moniteur Médical, où notre étude historico-médicale a été publiée, maints détails d’un réel intérêt :

Récit du docteur Labonne :

« Eugène Pelletan,  père de feu le ministre de la Marine Camille, venait assez souvent dîner à la maison.
« Certain jour, – et c’est en cela que mon récit va se rattacher au titre de cet article, me permettant à moi  aussi d’apporter une toute petite pierre à l’édifice d’une question qui agite encore les familles royales  –

Eugène Pelletan me dit en 1872 :

« Jeune homme, voulez-vous voir le cœur de Louis XVII, je vous le montrerai : il me fut remis par Pierre, fils de Philippe Jean Pelletan, et je le conserve dans ma bibliothèque ».

(Il semble qu’Eugène Pelletan ait simplifié l’histoire : il était un peu jeune, à la mort de Pierre Pelletan, pour en avoir reçu directement le cœur. Peut-être en hérita-t-il par voie testamentaire, la veuve de Pierre gardant l’usufruit de la relique pendant sa vie)
A propos d’un article d’Ernest Daudet sur la question, je lui écrivis pour lui communiquer ma conversation avec Pelletan, et ce remarquable historien me répondit par une lettre que je garde, dans laquelle il me dit :

« Vous êtes dans le vrai, et je puis vous informer que le cœur a été remis à la famille royale ».
Suit la lettre confirmative d’Ernest Daudet, publiée par le même périodique
(Le Moniteur Médical)
«  A propos de la controverse sur le cœur de Louis XVII, voici la lettre de Daudet à notre confrère Labonne  (Witkowski op.cit.)

34 rue Hamelin, XVIème

Monsieur et cher confrère,

Je vous remercie du renseignement que vous voulez bien me donner et auquel je puis ajouter celui-ci : c’est qu’aujourd’hui, le cœur de Louis XVII,-  qu’en effet votre docteur Pelletan tenait de son père – a passé dans les mains des héritiers du comte de Chambord. »

( Note : La lettre de Daudet est postérieure à 1883, date de la mort d’ « Henry V ».Le cœur donné par Eugène Pelletan arriva donc à Frohsdorf entre 1872 et 1883, sans que, pour le moment, on puisse préciser davantage.)

Le docteur Labonne, qui nous communique cette lettre, ajoute :

« Or, il sera dit que là encore, je peux ajouter un peu de nouveau . L’héritier direct du comte de Chambord, fils de feu le roi de Parme, voyagea avec moi en Islande et me confirma ce que le sérieux historien Daudet m’a écrit. »

Avons-nous la possibilité de dater cette révélation d’Henry Labonne ?
Le médecin et pharmacien Henry Labonne (1853-1936) fut chargé par le Ministère de l’Instruction Publique de constituer un herbier complet. Il se rendit en Islande en 1885 et publia en 1888 :
L’Islande et l’archipel des Faeroeer (îles Féroé) Ed. Hachette – Bibliothèque Nordique, 10 place du Panthéon –

Au cours de son voyage en Islande, le médecin  fit la connaissance d’Henri, comte de Bardi, héritier du comte de Chambord pour un quart de sa fortune, la plus grande partie revenant à son frère, le duc  Robert de Parme.
A ce voyage participait également Adinolfo Léopoldo Antonio Ettore Lucchesi Palli, fils de la duchesse de Berry.

La conclusion est indiscutable :

En 1885, le cœur dit « de Louis XVII » était en possession des princes de Parme, qui le confirmèrent au docteur Labonne.
Dix ans plus tard, en 1895, le cœur trouvé par Gabriel Pelletan arrivait, lui, au palais Lorédan, à Venise, où il était offert à don Carlos, duc de Madrid, toujours sous la rubrique « cœur de Louis XVII ».


La preuve est donc faite qu’il existait bien, à la fin du 19ème siècle, deux cœurs dits « de Louis XVII ».

Le docteur Labonne, au début de son récit, parle « d’une question qui agite encore les familles royales » à son époque. Il observerait avec étonnement dans la nôtre, que cette question n’agite nullement les différents ministres de la Culture, non plus que les familles royales subsistantes, ni même le conservateur de la basilique de Saint Denis.
Mais la vie aventureuse de ces reliques ne s’arrête pas là.

Nouvel avatar d’un cœur « de Louis XVII » :

Le 21 juin 1896, le New York Times publiait l’article suivant ( traduit de l’américain ):

Un cœur d’enfant

From Temple Bar
Parmi les articles curieux proposés à la vente à l’hôtel Drouot à Paris, il y avait un cœur d’enfant plongé dans un bocal rempli d’alcool, et bien que 97 ans se soient écoulés depuis que le viscère avait été placé dans son réceptacle transparent, chaque élément de ce cœur – les oreillettes et les ventricules de gauche et de droite, et même un bout d’aorte – était dans un parfait état de conservation. Il était présenté dans le catalogue comme le cœur de Louis XVII, duc de Normandie, et d’après la conclusion évidente ressortant de la documentation qui l’accompagnait, il y avait un léger doute quant à son authenticité.

Le journaliste du New York Times, qui reprenait un article du Temple Bar Magazine, revue éditée à Londres de 1860 à 1906, oublia de noter un détail, lequel se révéla fort important : la publication de la vente ne datait pas de l’année de son article, 1896 ; mais bien « about three years ago » – « il y a environ trois ans ».

Ce qui, avec les 97 ans indiqués par le catalogue, (après le prélèvement du cœur par le chirurgien Philippe Jean Pelletan en 1795), donnait une date approximative entre 1892 et 1893.

Recherches infructueuses :

Il fallait retrouver cette fameuse vente ! Après avoir vainement consulté les catalogues du Louvre, ceux de l’hôtel Drouot ne donnèrent pas davantage de résultats. Ils ne concernent d’ailleurs pour cette époque que les grandes ventes de provenance célèbre ou de collections connues, les ventes d’objets de curiosité étant rarement répertoriés.

Il restait un espoir : la Gazette de Drouot, qui paraît depuis 1891.
Le nom de Louis XVII fut un sésame. Mais là encore, malgré les recherches immédiates entreprises par trois journalistes et leur empressement à débusquer une vente aussi étonnante, ce fut chou blanc. La raison ? Des lacunes dans les premières années de la Gazette, la possibilité d’un supplément de catalogue sur feuille volante, bref, rien, absolument rien sur la vente d’un cœur du fils de Louis XVI.

– Connaissez-vous, me demanda alors une aimable journaliste, le nom de l’auteur de l’article ?
– Pour le Temple Bar Magazine, je le connais, répondis-je. Il s’agit d’un certain William Roberts.
– Eh bien, je vous conseille d’en savoir davantage sur ce Roberts. Est-ce quelqu’un de crédible ?

Je compris qu’elle craignait d’avoir affaire à un canular.
Elle avait parfaitement raison : malheureux Louis XVII, que de forgeries n’a-t-on pratiquées en ton nom !

A la recherche de William Roberts :

Le Temple Bar Magazine était édité dans le quartier homonyme de Londres, pépinière de juristes et d’hommes de loi. De 1828 à 1898, cette publication fut dirigée par G.A.Sala, et comptait environ 144 pages,de contenus variés :histoires courtes, fictions, articles scientifiques ; le magazine abordait un peu tous les sujets.

Qui donc pouvait avoir écrit sur un cœur vendu à Drouot ?
William Roberts, ou plutôt de son vrai nom William Robert Bousfield (1854-1943) n’avait rien d’un vulgaire plaisantin. C’était un juriste britannique, politicien conservateur et également un scientifique connu.

Diplômé du Caius College à Cambridge, lecteur à l’Université de Bristol, il décida d’étudier le droit et fut admis en 1880 au barreau à l’Inner Temple à Londres. Conseiller de la Reine en 1891, il fut élu membre de l’ordre des avocats en 1897 et trésorier en 1920.

Membre du parti conservateur, il entra aux Communes en mai 1892 et fut réélu en 1895 et 1900.
Bousfield était un amateur scientifique enthousiaste, particulièrement intéressé par la chimie, la physique et l’ électrolyse . Ses études parurent dans les publications de la Royal Society, dont il devint fellow en 1916.

Il tourna ensuite son attention vers la psychologie, les mécanismes de la pensée et les bases de la mémoire.

Sa santé s’étant dégradée, il mourut à Ottery St Mary en juillet 1943, âgé de 89 ans.
Comment ne pas voir que ce cœur dit de Louis XVII posait au spécialiste qu’était William Roberts Bousfield des questions fort intéressantes :

  • Problème de conservation pour le physicien
  • Problème d’identité et de propriété pour le juriste
  • Problème de traçabilité pour l’historien

Et c’est ainsi qu’il prit la peine de rendre compte du catalogue de la vente à Drouot.
On ignore le résultat de cette vente mystérieuse.

L’objet fut-il vendu ? ravalé ? retiré de la vente ? Nous n’en savons rien.
La date du catalogue (deux ou trois ans avant la remise du cœur de Gabriel Pelletan à don Carlos, duc de Madrid) et le fait que le viscère soit plongé dans l’alcool, apparemment dans un bocal sans gravure ni inscription, laisse penser que l’initiative provenait de la famille de Parme, qui en avait hérité en 1883 du comte de Chambord.

Le cœur ne trouva sans doute pas d’acquéreur, car dans un article publié dans Le Petit Marseillais du 29 septembre 1909 par Georges Montorgueil, l’auteurapprend  à ses lecteurs « que ce cœur vagabond est aujourd’hui chez le prince de Parme ».

Henri de Parme, comte de Bardi, étant mort en 1905, et son frère aîné, Robert, duc de Parme, en 1907, chez quel prince de Parme pouvait bien se trouver ce cœur voyageur en 1909 ?

Retour à Frohsdorf :

1909 est l’année du décès de don Carlos, duc de Madrid.
Rappelons qu’il avait reçu en 1895 le cœur de Gabriel Pelletan, celui de l’Enfant mort au Temple cent ans plus tôt. Ce cœur était contenu dans un coffret en chagrin blanc, semé de fleurs de lys dorées et portant l’inscription : « Cœur de Sa Majesté Louis XVII » (Relique remise par Edouard Dumont au duc de Maillé, puis à Maurice Pascal, chargé de son transport jusqu’au palais Lorédan à Venise, résidence habituelle de don Carlos.)
(Mémoire sur les deux cœurs 1ère partie)

Le cœur fut déposé avec son réceptacle dans la chapelle de Frohsdorf, selon le témoignage du baron de C…, dont nous aurons à reparler.

Or le cœur provenant des princes de Parme (celui de Pierre Pelletan) vint rejoindre dans cette chapelle le cœur de l’Enfant du Temple. Rappelons qu’ils s’étaient retrouvés une première fois en 1830, à l’archevêché de Paris. La seconde fois, ce fut à l’initiative de don Jaime, fils et héritier de don Carlos.
Il faut reconnaître que le château de Schwarzau am Steinfeld, résidence principale de Robert de Parme, n’était qu’à quelques kilomètres du château de Frohsdorf, résidence de don Jaime.

Plusieurs des enfants du premier mariage de Robert de Parme étaient handicapés, (Alfred de Gramont. L’ami du Prince) les enfants du second lit encore jeunes, bref, les circonstances se prêtèrent sans doute à un transfert discret du château des Parme à celui du nouveau duc de Madrid.
Nous avons sur ce point le témoignage du baron de C… qui fut enregistré dans un film diffusé sur Canal+ le 22 janvier 2007,  intitulé :
Querelles de Prétendants autour d’un Trône (de M. Sultan et J.Ch. Deniau)

Ne voulant pas donner son identité – que nous connaissons – le baron ne parla pas à visage découvert. Mais ce qu’il révéla est important. Je lui laisse la parole :

J’ai bien connu la comtesse Wurmbrand (nièce de don Jaime). Je la voyais chez des amis très fréquemment. La comtesse Wurmbrand disait que d’après le père Bole, jésuite de son état, confesseur du comte de Chambord, il y avait eu deux cœurs à Frohsdorf.

Elle a vu le réceptacle où était le premier cœur et le second, qu’elle avait eu, si je puis dire, en mains, qui se trouvait chez ses parents Massimo, se trouve actuellement à Saint Denis (il s’agit du cœur provenant de Pierre Pelletan)

Georges Albert Salvan, ancien journaliste, présent à l’interview :
Ces deux cœurs, où étaient-ils l’un et l’autre ?

R : Le cœur de l’aîné dans la chapelle.

G.A. Salvan : « Et le cœur du cadet, qui était Louis XVII, où était-il ?

Le baron : Il était également à Frohsdorf… ;
… Le duc de Madrid (don Jaime) le récupère et compte tenu de la réputation du duc de Madrid qui faisait argent de tout, on a émis beaucoup de suspicion sur ce cœur. Parce que, pour le duc de Madrid, il fallait de l’argent à tout prix. Enfin, on savait qu’il était dans la chapelle de Frohsdorf… »

Cet entretien révèle que l’on était parfaitement au courant, dans les familles princières, que les cœurs des deux frères, fils de Louis XVI, Louis Joseph et Louis Charles, avaient été en la possession de don Jaime, propriétaire de Frohsdorf , oncle des princesses Massimo.

Après les deux frères, les quatre sœurs  :

Pour tenter de comprendre – si faire se peut – la nouvelle saga des deux cœurs, il faut se replonger dans la généalogie de cette famille princière.

Après le comte et la comtesse de Chambord, le propriétaire de l’historique demeure de Frohsdorf, fut don Carlos de Bourbon (1848-1909), qui avait épousé le 4 février 1867 dans la chapelle du château la princesse Marguerite de Parme, fille aînée de Charles III, duc souverain de Parme, et de Louise Marie Thérèse d’Artois, petite fille de Charles X.

Don Carlos devenu veuf, se remaria en 1894 à Prague avec la princesse Marie Berthe de Rohan (qui avait la réputation de ne guère apprécier les reliques ni les souvenirs de famille)
Du premier mariage, naquirent cinq enfants :

  • Blanche d’Espagne, qui épousa le prince Léopold Salvator de Habsbourg Toscane.
  • Jacques – don Jaime – (1870-1931) qui mourut sans postérité.
  • Elvire (1871-1929)
  • Béatrice, née à Pau, le 21 mars 1874, décédée à Monte San Quirico (province de Lucques, Toscane) le 2 novembre 1961.Elle avait épousé le 27 février 1897 Fabrizio Massimo (1868-1944) prince de Roviano.
  • La princesse Béatrice hérita de Frohsdorf à la mort de son frère don Jaime en 1931.
    Alice, (1876-1975) qui épousa le prince de Schönburg-Waldenburg.

Intéressons-nous ensuite à la nouvelle propriétaire de Frohsdorf en 1931, Béatrice Massimo.
Elle eut quatre filles, qui vont jouer un rôle actif dans l’histoire des cœurs :

  • Margherita (Meg), née à Pianore (Toscane) le 31/07/1898, décédée après 1975. Curieusement, nous ne savons ni la date, ni le lieu de son décès. Et pourtant… Elle épousa en 1922 à Zaraus, en Espagne, le comte Emilio Pagliano, né à Rome en 1881, mort à Lucques en 1953. Ils n’eurent pas de postérité.
  • Fabiola (1900-1983). Mariée à Rome au baron  Galli Zugaro (1898-1986), elle en eut quatre fils, vécut dans un château des Abruzzes et ne s’intéressa guère à l’histoire des cœurs.
  • Marie des Neiges (Nieves). Née à Vienne le 18 janvier 1902, elle vécut et mourut à Rome le 20/06/1984. Elle fut mariée dans cette ville en 1927 à  Charles Piercy (1893-1954) né à Viareggio et mort à Torre del Lago.Ils n’eurent pas de postérité.
  • Bianca, née à Rome le 16 avril 1906 et décédée à Frohsdorf le 22 janvier 1999.

Elle épousa à Vienne le 8 février 1943 Paul, Graf (comte) von  Wurmbrand Stuppach, dont elle eut plusieurs enfants ; le propriétaire actuel de Frohsdorf, ou du moins du pavillon de chasse où sa famille dut se réfugier après les invasions allemandes et russe est son fils, le comte Gundakar von Wurmbrand Stuppach.

La saga de Frohsdof

Retour donc en Autriche, où le sort des cœurs est étroitement mêlé aux péripéties de la vie de don Jaime, de sa soeur Béatrice et de ses nièces Massimo.
Sur un site Web (European Royalties-French Royals), une discussion (de 2005 à 2008) animée par le prince Dominic Lieven, nous livre les détails de cette histoire, vue par les yeux d’un fin connaisseur de l’Autriche.

Extraits traduits de l’anglais :

Don Jaime :

Jaime de Bourbon, duc de Madrid, hérita de l’entière propriété de Frohsdorf et de son contenu à la suite du décès de la comtesse de Chambord en 1886.     (Don Carlos ne s’y intéressant pas). Il en fit sa résidence en 1909, à la mort de son père, qui fit de lui le chef de la maison royale des Bourbons.

N’étant pas spécialement riche, maintenir les vastes bâtiments, les terres, les collections royales etc…était souvent difficile. Une des premières choses qu’il vendit fut le magnifique service en argent de Charles X, ainsi que la propriété voisine de Katzelsdorf.
Beaucoup de choses furent volées pendant la première guerre mondiale.

Avant la seconde guerre mondiale : Béatrice Massimo :

A sa mort en 1931,il laisse Frohsdorf à Béatrice de Bourbon Massimo. Aussitôt, sa seconde sœur, Bianca d’Autriche, fait un procès à la succession, et après beaucoup de dépenses inutiles, la propriété de Pitten (Katzelsdorf) revient à Bianca.

La bibliothèque du comte de Chambord est vendue par Magg Brothers de Londres en 1935.
En 1937, par Sotheby’s à Londres, un magnifique collier de diamants de Marie Antoinette est vendu par les deux sœurs.

Finalement, en 1938, les tableaux et œuvres d’art sont déménagés de Frohsdorf et vendus par la princesse Massimo. La vente fut un désastre et les prix très bas.
Beaucoup de lots envoyés seulement pour être exposés furent détruits plus tard par le bombardement allemand sur Londres.

La seconde guerre mondiale et l’invasion russe :

La princesse Massimo et ses filles restèrent à Frohsdorf pendant l’Anschluss, mais elles voyaient l’écriture sur le mur (sic : des graffitti nazis ?) et finalement vendirent l’entière propriété à la Poste allemande (German Reich Post)  en 1941.

Ce qui restait – pas grand-chose – fut envoyé clandestinement en Italie et à Vienne.
Quand WWII ( la 2ème guerre mondiale, sic) eut pris fin, Béatrice Massimo revint à Frohsdorf . Une partie des terres et quelques bâtiments étaient toujours restés en possession de la princesse.
Malheureusement, l’Autriche fut occupée et le château se trouva dans la zone d’occupation russe .Les soldats russes pillèrent Frohsdorf et beaucoup de restes des possessions Bourbon furent brûlés dans la cour du château, incluant le grand crucifix de la Duchesse d’Angoulême et des portraits du Comte et de la Comtesse de Chambord.

La famille quitta alors l’Autriche pour l’Italie.

Quand la princesse Massimo mourut (en Toscane en 1961) , sa plus jeune fille, la comtesse Bianca Wurmbrand, fit sa résidence dans une grande maison, partie du domaine de Frohsdorf. Elle y mourut en 1999.

La princesse Massimo et ses quatre filles héritèrent de ce qui restait des collections royales françaises. Très peu échappa à la fois aux World Wars, à l’occupation russe et aux ventes à Sotheby’s.

La comtesse Wurmbrand :

« Même dans ses dernières années, la comtesse Wurmbrand fut contactée par des gens qui se proclamaient descendants de Louis XVII. En fait, croyant que j’en étais un autre, (Est-ce le prince Lieven lui-même qui parle ? c’est en tout cas un témoin privilégié, qui a correspondu avec la comtesse Wurmbrand pendant des années) au début elle hésita à me rencontrer. Elle avait aussi une profonde aversion pour les Orléans. »
Signé : frohsdorf /10/01/2006.

Le cursus aventureux des deux cœurs

Que devinrent les deux cœurs, désormais propriété de don Jaime et de sa famille ?
Celui provenant de Pierre Pelletan et trouvé dans sa boîte en plomb en 1830 était sans conteste le cœur du premier Dauphin, Louis Joseph. Retiré de sa boîte pour la vente à Drouot, il avait été mis dans un bocal, apparemment sans signe distinctif, mais plongé dans de l’alcool. Craignait-on les effets de l’air libre sur sa conservation ? Précaution inutile, car il était parfaitement desséché depuis le traitement pratiqué après la mort de Louis Joseph en 1789.

A ce propos, citons les recettes de cuisine de M. Philippe Delorme, qui dans une interview télévisée, préconise la méthode suivante, qu’il baptise « embaumement »:

« Vous prenez un cœur, vous l’ouvrez, et vous le bourrez de benjoin, de cannelle, et autres plantes odoriférantes «  comme un rôti farci » précise-t-il sans sourciller.  Oui, mais voilà, le cœur n’est ni un rôti, ni un sandwich,et cette curieuse recette n’a pas réussi à ébranler un médecin légiste (film Canal + 2007) qui précise qu’embaumement signifie conservation et que les plantes n’ont qu’un pouvoir antiseptique.

Autre film, ( de M. Stéphane Bern diffusé le 2 décembre 2007 sur France 2), autre recette, provenant d’un jeune et talentueux paléo-pathologiste . Deux solutions possibles :

  • Soit : on ouvre les deux ventricules, puis les oreillettes, et on y met des aromates. » Fin de la première recette.( Naturellement, si on s’arrête là, tout est pourri au bout de huit jours.)
  • Soit : si jamais vous ne voulez pas ouvrir le cœur pour des raisons pratiques (sic. Lesquelles ?)dans ce cas là, vous mettez des aromates tout autour et vous délayez (quoi ? Le cœur ?) dans diverses solutions qui le déshydratent. Ensuite on entoure le cœur de bandages. »

Bref, pour conserver un cœur, il est préférable de le dessécher. Et dans ce cas, comme  le soulignait le médecin légiste (film de Canal + 2007)
il est excessivement difficile de conclure à une différence entre les deux cœurs. »

Une urne faite à Vienne

Pour réduire encore la différence entre les deux cœurs, faute de pouvoir les départager, il fallait les mettre dans le même décor extérieur.

Interrogée par des journalistes dans sa propriété de Frohsdorf, (film Canal+ 2007) la comtesse Wurmbrand actuelle, née Elisabeth Kayhofer, (belle-fille de la comtesse Wurmbrand précédente), fit de la meilleure grâce du monde une révélation à ce sujet :

« Une urne a été faite à Vienne. Tout près d’ici » précisa-t-elle.

Le bocal de la vente à Drouot n’était pas suffisant en effet. A une date indéterminée, on fit donc une réplique de l’urne contenant le cœur de l’enfant du Temple. Et la comtesse Wurmbrand nous apprend que cette urne fut fabriquée à Vienne.

Cette urne veut être la copie exacte de l’originale. Mais un détail très important la distingue : le bas du couvercle n’est pas cerclé de cuivre doré comme  la première .Les photographies prises à Saint Denis le révèlent très précisément. A part la fleur de lys dorée servant à ouvrir l’urne, le couvercle est parfaitement transparent. D’autant plus transparent d’ailleurs, que le cristal, très brillant, est visiblement récent.

Le sort des cœurs se sépare à nouveau

Pendant la seconde guerre mondiale, un des cœurs est toujours en Autriche :

« La princesse réussit à mettre cette relique à l’abri pendant la dernière guerre, avant que le château ne fût pillé . » (Jean Neuvecelle. France Soir. Article du 6 avril 1975).

Ce cœur échut à la troisième sœur, madame Percy, qui l’emporta à Rome, où elle habitait. Nous l’y retrouverons.

Première tentative pour négocier avec la France. Son échec

Restée à Vienne jusqu’à l’arrivée des troupes russes, la mère des quatre sœurs Massimo, la princesse Béatrice Massimo, partit pour l’Italie, où elle possédait une charmante villa près de Lucques, en Toscane «  Monte San Quirico » Séparée de son mari depuis 1907, elle y vécut avec sa fille Margherita, comtesse Pagliano, veuve elle-même en 1953.

A la mort de sa mère en 1961, la comtesse Pagliano, fort dépourvue de moyens financiers, chercha à négocier le second cœur, qui avait été emporté  par les deux femmes en Toscane.

Une photographie prise en 1968 avec un appareil Kodak ,( dans la chapelle de la villa de Lucca, d’après le rapport qui fut fait à la journaliste du film de Canal+) montre que ce cœur est bien celui de l’Enfant du Temple, retrouvé par Gabriel Pelletan . En effet, l’urne (offerte en 1895 à don Carlos) possède  un couvercle cerclé de cuivre doré. C’est donc le contenant original.

Le cœur aurait été photographié par un voisin et ami français, le comte Guy de Villefranche.
Ce cœur sera proposé au musée Carnavalet en 1972 par la comtesse Pagliano,  par l’entremise d’Emmanuel de Villefranche. Galliéra, puis Carnavalet refuseront la relique.

Par contre, la photo du cœur est entrée dans les collections des musées de Paris en janvier 1973. (renseignement aimablement donné par Cécile Coutin, conservateur à la BNF)
Le cœur resta donc en Toscane .Nous verrons son sort après la mort de la comtesse Pagliano.

Seconde tentative : un cœur donné à la France

Retrouvons à Rome madame Percy, qui y avait emmené le cœur provenant de Pierre Pelletan, dans son urne dépourvue de cerclage doré.

Témoignage de Georges  Albert Salvan, ancien journaliste à France Presse au Vatican :

« Le cœur devint la propriété de la princesse Nieves Massimo (Madame Percy),
après la seconde guerre mondiale et la vente du château de Frohsdorf  à l’Etat autrichien. » (Conférence donnée à la fondation del Duca le 26 octobre 2000)

Georges Albert Salvan devint alors un des personnages principaux de cette affaire. Ayant vu le cœur chez la princesse, il s’y intéressa ; Madame Percy lui confia son intention de le rendre à la France, au début de l’année 1975. (Observons  qu’étant une fille cadette, elle avait laissé à sa sœur aînée Pagliano l’initiative de négocier –sans succès- trois ans auparavant, le cœur que celle-ci possédait à Lucques)
Salvan lui suggéra de le donner au président de la République, Valéry Giscard d’Estaing.

« La République, jamais ! «  répliqua-t-elle.

Le secrétaire d’Etat à la Culture, Michel Guy, conseilla l’offrande du cœur au Mémorial de France à Saint Denis, présidé par le duc de Bauffremont.
Cette solution fut agréée par la princesse Nieves, d’un commun accord avec le président du Mémorial.
(Note de G.A.Salvan pour le duc)

Georges Albert Salvan nous décrit ensuite avec complaisance le voyage de ce cœur jusqu’à Paris, dans une valise en carton bourrée de vieux journaux (Film de Canal +)
Ce qu’il omet de nous dire (mais le savait-il ?) c’est que la véritable urne Pelletan, contenant le cœur de l’Enfant du Temple retrouvé par Gabriel Pelletan. avait été offerte à don Carlos dans un superbe coffret en chagrin blanc, orné d’étoiles dorées ; ce coffret, avec son contenu, était resté en  possession de sa propriétaire, la comtesse Pagliano.

Le cœur qu’on offrait à la France était donc l’autre viscère, retrouvé par Pierre Pelletan : le cœur de Louis Joseph, le premier Dauphin, suspendu dans une urne récente au couvercle non cerclé,  dépourvue  de coffret protecteur.
Ce fut toute une affaire pour la transporter à petit prix, sans risquer un accident de parcours !

Un procès-verbal très prudent :

Un an après la cérémonie de remise du cœur à la France, en 1976, un procès-verbal fut publié par le duc de Bauffremont et le Mémorial de France.

Ce jour, jeudi 10 avril 1975, dans la crypte de la basilique Saint Denis : Madame la princesse Marie des Neiges Massimo et Madame la princesse Blanche Massimo, comtesse de Wurmbrand Stuppach, agissant conjointement avec leurs sœurs absentes, Madame la princesse Marguerite Massimo, comtesse Pagliano, et Madame la princesse Fabiola Massimo, baronne Galli Zugaro, toutes quatre filles de S.A.R. Madame la princesse Béatrice de Bourbon, fille elle-même de Charles, chef de la Maison de Bourbon, duc de Madrid, propriétaire de Frohsdorf, ont remis, pour être conservée en ces lieux, à Monsieur le duc de Bauffremont, président du Mémorial de France , assisté du baron Hervé Pinoteau ;

Une urne de cristal contenant le cœur de l’enfant mort au Temple le 8 juin 1795.
Prélevé par le chirurgien Pelletan et provenant de la succession dudit duc de Madrid.En présence de Son Excellence Monsieur Brouillet, ambassadeur de France, Monsieur Alain Bacquet, directeur de l’Architecture, Monsieur Michel Fleury, des Antiquités historiques de la région parisienne, Monsieur René Duval, architecte des Bâtiments de France, Monsieur Maurice Soucheyre, maire adjoint de Saint Denis. »

Aucune attribution de ce cœur à Louis XVII , ce qui est étonnant, mais honore la prudence des signataires de ce procès-verbal.

Par contre, les quatre sœurs avaient avalisé gaiement la donation d’un des cœurs, sans préciser qu’il en existait un autre, précisément celui prélevé par le chirurgien.
Comment pouvaient-elles choisir entre les deux, avant l’analyse ADN ?
Et la surprise, c’est que l’analyse ADN révéla bien qu’il s’agissait d’un enfant de Marie Antoinette. Mais c’était le cœur du Premier Dauphin., et non celui prélevé en 1795.

Quid du cœur de l’Enfant du Temple ?

Que devint cette relique, toujours propriété de la comtesse Pagliano à Lucques (Lucca) ?
Fatiguée, malade, Margherita Pagliano mourut  sans doute peu de temps après le procès-verbal  (1976) de la remise de l’urne à Saint Denis, puisqu’elle est notée dans ce document comme absente, mais non décédée. Nous n’avons ni le lieu, ni la date exacte de son décès.

Les deux sœurs suivantes, les princesses Fabiola et Nieves Massimo moururent en Italie, la première en 1983, l’autre en 1984.

Seule survivante des quatre filles de la princesse Béatrice de Bourbon Massimo, la comtesse Wurmbrand, mariée à un Autrichien, résidait à Frohsdorf, dont elle avait hérité.
Tout ce que sa sœur aînée avait possédé en Italie fut vendu : villa en Toscane, et souvenirs royaux.
Beaucoup de ces souvenirs furent rassemblés à Frohsdorf et sont maintenant la propriété du comte Wurmbrand.

Qu’advint-il du cœur ?
Relique encombrante, impossible à détruire, mais difficile à protéger, il doit couler des jours paisibles et discrets dans un coffre de banque, comme jadis dans les cartons d’une étude de notaire, selon les propos du docteur Cabanès.